Le 18ème siècle

Au cours du 17ème siècle, l’Italie était la capitale incontestée du monde de la guitare, elle continua à dominer en ce domaine jusqu’au siècle suivant . À partir de ce moment, cependant, il commença à y avoir de la compétition des pays du Nord. L’Allemagne, où la guitare avait déjà été populaire au début des années 1600, devint de plus en plus un lieu de prédilection dans ce domaine de musique, et bientôt un grand nombre de guitaristes et de compositeurs pour la guitare, dont les accomplissements rivalisaient ceux de leurs congénères italiens, se firent connaître.

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La guitare en Allemagne

La musique allemande baroque avait atteint un sommet avec des maîtres tels que Johann Pachelbel (1653-1706), Vincentius Lübeck (1654-1740) et Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Ce siècle connut un grand regain d’intérêt envers le luth. Bach lui-même, en plus de ses nombreuses cantates, passions, suites pour orchestre, concertos et autres pièces, a composé pour le luth.

Cette renaissance du luth fut suivie d’un enrichissement de la littérature musicale pour cet instrument qui se développa pour devenir de plus en plus complexe, ce qui contribua à la hausse de la popularité de la guitare. Le luth, devint donc un instrument de plus complexe au point où, à un certain moment, il possédait pas moins de 24 cordes. En conséquence, bien jouer d’un tel instrument demandait beaucoup d’habileté et d’entraînement, et comme la technique pour y arriver devint de plus en plus difficile, le luth fut de moins en moins accessible, les gens s’en désintéressèrent et se tournèrent vers la guitare.

Le nombre croissant de guitaristes avait pour égal un nombre croissant de compositeurs pour cet instrument. Un certain nombre composèrent pour la guitare solo: Johann Arnold (1773-1806), Friedrich Baumbach (1753-1813) et Johann Christian Franz (1762-1814) étaient certains d’entre eux. Cependant, l’aspect le plus important de la musique allemande de guitare du 18ème siècle est l’utilisation de la guitare dans une variété de combinaisons avec d’autres instruments de musique de chambre, par exemple: guitare et flûte; guitare et basson; guitare, alto et basse.

L’important ouvrage théorique sur la guitare Neu eröffneter theoretischer und praktischer Music-Saal, par Joseph Friedrich Bernhardt Kaspar Majer, mérite d’être cité. Cette publication constitue la première référence connue à une guitare à six cordes. D’après Majer, cette guitare était accordée en D-A-D-F#-A-D.
Une guitare à cinq cordes, provenant d’Italie, fut apportée à Weimar en 1788 par la duchesse Amalia von Weimar. Cet instrument servit de modèle au célèbre fabricant de guitares Jacob August Otto (1760-1829) pour ses premières guitares. Les guitares réalisées en se basant sur cet instrument devinrent très populaires dans le sud de l’Allemagne. Au cours des dix dernières années du 18ème siècle, un certain chef d’orchestre de Dresden, du nom de Naumann, demanda à Otto d’ajouter à sa guitare à cinq cordes une sixième corde de basse conformément à la pratique italienne.
La guitare devenue populaire en Allemagne, s’implanta dans les pays plus au nord. Au Danemark, Peter Schall (1762-1820) violoncelliste, a composé des airs et concerts avec accompagnement de guitare.

La guitare en Belgique et en Hollande

La Belgique a produit un nombre d’excellents guitaristes parmi lesquels se trouvait François Le Cocq, un violoniste avec l’Orchestre de la cour de Bruxelles. Il a écrit de nombreux ouvrages pour la guitare en tablature française (Recueil de pièces de guitare). Par après, il publia une anthologie de la musique de guitare des maîtres du 17ème siècle.

En Hollande, la famille Cuypers, fabricants d’instruments de musique renommés, faisaient aussi des guitares. Ils devinrent prospères avec des représentants à La Haye et à Amsterdam.

La guitare en Europe de l’Est

L’intérêt envers la guitare dans les pays du Nord de l’Europe n’avait d’égal que celui manifesté dans les pays de l’Est comme en Bohême, Tchécoslovaquie et en Russie. Jean-Baptiste Wanhall (1739-1813), un bohémien, a composé de la musique pour orchestre de chambre incluant la guitare.
En Tchécoslovaquie, la guitare, comme instrument d’interprétation, vit sa tradition s’enrichir grâce à des compositeurs comme Heinrich Dringeles et des fabricants de guitare comme Jean Bourgard qui travaillait à Prague. Ce dernier produisait, en plus de guitares, des mandolines, contrebasses, luths, guitares anglaises et une « guitare mécanique ».

Vers la fin du 18ème siècle, la guitare scommença à s’enraciner solidement en Russie. Les précurseurs en fabrication de guitare apparurent vers cette époque. L’un d’entre eux était Ivan Andreyevitch Batov. Il avait établi son atelier à Ulm en 1780. À cet endroit ont été fabriqués une variété d’instruments musicaux incluant des guitares, balalaïkas, violons et violoncelles.

La guitare en France

Bien qu’il soit vrai que plusieurs des guitaristes mentionnés jusqu’à présent fussent membres d’orchestres de cour, c’est en France que la guitare a atteint le statut d’instrument par excellence pour la noblesse. Ici, la tendance consistant à associer la guitare à l’élégance devint spécialement important et se refléta par la suite dans les nombreuses oeuvres d’art dans lesquelles cet instrument est illustré. Les plus célèbres sont les peintures d’Antoine Watteau (1684-1721) dans lesquelles de jeunes hommes et femmes se baladent nonchalamment dans des scènes champêtres et jouent de la guitare. D’autres artistes français ayant illustré la guitare dans leurs oeuvres sont Jean-Baptiste Pater et Ollivier.
Les Français également produisaient des guitares qui étaient des oeuvres d’art. Ils développèrent leur art en suivant les mêmes méthodes de construction utilisées précédemment et représentées par l’instrument construit par René Voboam au 16ème siècle (fig.8). On peut observer une continuité de cet art sur un nombre d’instruments du 18ème siècle.

L’instrument fabriqué par Francisco Lupot est un exemple de guitare à six cordes du 18ème siècle, elle date de 1773. La guitare Salomon est un autre exemple. Elle a été fabriquée à Paris vers 1760 (fig.11).

Un genre plus inusité de guitare semble avoir été développé vers cette époque: la guitare basse. Cet instrument avait un surplus de cordes à l’extérieur du manche qui étaient attachées à une tête d’accordage séparée. Une guitare basse, fabriquée par Gérard J. Deleplanque, en 1782, avait six cordes simples sur le manche et quatre cordes basses à l’extérieur du manche. Ce type de guitare à dix cordes devait plus tard devenir extrêmement populaire durant la deuxième moitié du 19ème siècle, elle fut connue sous le nom de chitarra decachorda. Cette guitare a survécu jusqu’aux premières années du 20ème siècle.

La Révolution française de 1789 a forcé plusieurs nobles à s’exiler mais heureusement n’a pas signifié l’oubli pour la guitare. Au contraire, elle a connu, avec le temps,un plus grand degré de popularité du fait de son adoption par les classes populaires. Sûrement, la guitare n’aurait pu que difficilement atteindre ce degré de popularité avant et après la Révolution sans les efforts et travaux des compositeurs et musiciens-interprètes.

Interprètes et compositeurs du 18ème siècle

L’un d’eux était Trille Labarre, un virtuose de la guitare. Il composa de la musique pour guitare seule, guitare et violon et pour guitare et voix.

Un autre s’appelait Antoine Marcel Lemoine (1763-1877), un fameux virtuose qui jouait aussi du violon et qui composait.

B. Vidal était à la fois interprète, professeur et compositeur. Il écrivit une Nouvelle Méthode pour guitare.
Peut-être le personnage le plus remarquable dans l’histoire de la guitare du 18ème siècle en France est Charles Doisy. Il jouait à la fois de la guitare à cinq et à six séries de cordes et il écrivit un traité, Principes généraux… pour les deux instruments. Compositeur prolifique, il a laissé environ deux cents oeuvres pour guitare solo, guitare et piano, guitare et cordes, et pour guitare et cuivres.

Les Folies d’Espagne était un thème très populaire connu à travers l’Europe. Doisy composa pas moins de cinquante variations sur ce thème. Les Italiens Arcangelo Corelli et Alessandro Scarlatti écrivirent également des variations sur ce thème.

Tandis que la guitare progressait dans les différents pays d’Europe, l’Espagne avançait plutôt lentement à ce niveau. Le nombre de guitaristes espagnols, de compositeurs, et de fabricants de guitare était moins important comparativement à ce qu’il avait déjà été dans le siècle antérieur et à ce qu’il devait être dans le siècle à venir.

Durant les siècles précédents, la guitare avait existé dans l’ombre de la vihuela. À cause de cela, l’école espagnole de fabrication de guitare ne commença à s’épanouir que vers la fin du 18ème siècle. Vers cette époque, les ateliers de José et Juan Pages devinrent actifs de 1790 à 1819 à Cadiz, ville reconnue comme centre de fabrication d’instruments musicaux (fig.12).
José Benedict et Francisco Sanguino ont exercé une influence considérable dans l’évolution vers la guitare moderne.

Juan Matabosch, qui travaillait à Barcelone, fait partie des importants fabricants espagnols de guitare de la fin du 18ème siècle. La première guitare de Fernando Sor a été fabriquée par Matabosch.

Santiago de Murcia était un des plus importants guitaristes de l’Espagne du 18ème et fut l’un des derniers à utiliser la tablature.

Fernando Ferandière jouissait d’un rang élevé à titre de guitariste au 18ème siècle et Dionisio Aguado en parlait en termes élogieux. Ferandière a été un compositeur prolifique remarquable. Il a composé 235 oeuvres qui ont été publiées entre 1785 et 1799. La plus importante contribution de Ferandière, cependant, reste son Arte de tocar la guitarra española por musica, une méthode écrite en notation musicale moderne pour la guitare à six cordes, publiée à Madrid en 1799.

Une autre méthode intitulée Principios para tocar la guitarra de seis ordenes, de Don Frederico Moretti, un compositeur d’origine italienne, vit le jour presque en même temps que l’oeuvre de Ferandière. La méthode de Moretti a établi les principes de base de la technique de la guitare moderne et forma la base sur laquelle des améliorations ultérieures furent apportées. Moretti était très apprécié par F. Sor et Aguado pour son travail et ses innovations.

L’amour des Espagnols pour la guitare a été reflété par la fréquence d’apparition de cet instrument dans les oeuvres d’artistes tels que Francisco Goya (1746-1828). Dans Bravissimo, l’une des peintures de Goya, l’attention est attirée par la représentation de la guitare sur des thèmes d’une autre époque, comme toile de fond
D’autres oeuvres d’art espagnoles montrent un déclin de la popularité de la guitare dans les cercles aristocratiques et son émergence comme instrument national de l’Espagne.

Il y avait peu de fabricants de guitare au Portugal à la même époque. Parmi ces fabricants, le noms de José Pedeira Coelho, Miguel Ancho et Vieyra nous sont connus (fig.13).

L’Italie, malgré une faible diminution de popularité de la guitare au 18ème siècle, a maintenu son rang comme centre de cet instrument en Europe grâce à sa contribution à l’évolution de la guitare. Les compositeurs italiens écrivirent un grand nombre d’oeuvres et, comme les interprètes guitaristes et même les fabricants de guitare, voyagèrent beaucoup, donnant aux nombreux autres pays une idée de l’importance de leurs réalisations.

Parmi les nombreux compositeurs italiens pour la guitare, le plus célèbre a été Luigi Boccherini (1746-1805). Il voyagea beaucoup, comme plusieurs de ses contemporains, à titre d’interprète violoncelliste en compagnie du fameux violoniste Manfredini. Ces deux musiciens furent invités à Madrid où le frère du roi, l’infant Infante Don Luis, engagea Boccherini à titre de compositeur et interprète. Plus tard, Boccherini remplit des fonctions similaires pour le roi de Prusse. Après cette période, Boccherini étudia la guitare et fut invité à composer des partitions de guitare. En 1799, Boccherini composa une Symphonie Concertante pour guitare, violon, hautbois, violoncelle et contrebasse. Cependant, la majorité des oeuvres pour guitare de Boccherini est rassemblée sous forme de manuscrit.

Les grands progrès réalisés en Italie du côté du développement de la guitare eurent des répercussions à travers les autres parties du monde, car c’est pendant ce siècle que la guitare fut popularisée dans le Nouveau Monde, en particulier en Amérique du Sud. L’Argentine avait déjà produit un nombre de guitaristes. Parmi ces derniers, il y avait Manuel Macial et Antonio Guerrero, qui devinrent assez célèbres.

Les réalisations seules des artisans italiens auraient destiné l’Italie à occuper une place marquante dans l’histoire de la guitare. Ce fut grâce au travail de ces artisans italiens que la guitare fut construite avec beaucoup d’emphase sur une décoration élaborée de même qu’un style classique et fonctionnel.

Guitare à six séries de cordes

Incontestablement, le facteur le plus important dans l’évolution de la guitare a été l’ajout de la sixième corde. Cela a été sans doute une innovation propre au 18ème siècle, tout comme la guitare à cinq cordes était un produit du 16ème siècle. L’origine italienne de la guitare à six cordes s’appuie sur plusieurs arguments:

1. La chitarra battente italienne (fig.6-7) de la fin du 17ème siècle au début du 18ème siècle était faite d’un arrangement de six séries de doubles cordes.

2. Une publication de J.F.B.K. Majer datant de 1732 indique la façon d’accorder une guitare à six cordes.

3. La première guitare allemande à six cordes de Otto, a été construite selon la méthode italienne.

On ne connaît pas la date précise où la guitare à six cordes simples a remplacé la guitare à six cordes doubles. Cependant, il est possible de supposer sans trop de ris que d’erreur que la guitare à six cordes simples remonte au milieu du 18ème siècle. Vers la fin de ce siècle, la guitare à six cordes simples avait éclipsé tous les autres types de cet instrument.

Donc, la guitare à six cordes était devenue la norme. La rosette fut remplacée par un trou plus grand, tandis que le manche fut allongé et on lui adapta des touches surélevées allant jusqu’à la rosette. Dix-neuf frettes métalliques fixes devinrent éventuellement la norme. Le chevalet était surélevé, la caisse élargie, et un barrage en forme d’éventail fut introduit sous la table de résonance afin de supporter des cordes plus tendues que les anciennes. Les cordes hautes furent faites de boyau (remplacé par du nylon, plus durable, après la Seconde Guerre mondiale), les cordes de basse, de métal enroulé sur de la soie (ou, plus récemment, autour d’un fil de soie). La notation en tablature devint démodée, la musique pour guitare étant universellement écrite en clef de sol, sonnant un octave plus bas que l’écriture. [Sparks, Paul, 1997]

Guitares bizarres

Au cours du 17ème siècle, la guitare a connu un certain nombre de changements dans sa structure. Des instruments nouveaux et insolites furent mis au point et furent à la vogue, des innovations furent essayées, dont certaines qui ont tenu bien au-delà du 19ème siècle.

La tentative pour obtenir un meilleur son a motivé plusieurs luthiers à expérimenter diverses formes de guitare. Les luthiers étaient aussi très attirés à cette époque par la bizarrerie et la nouveauté.Les guitares les plus spectaculaires mises au point au cours des 18ème et 19ème siècles furent probablement la guitare-lyre et la guitare-harpe qui étaient proche parentes.

La guitare-lyre était faite d’un manche simple situé entre une paire d’appendices en forme d’ailes.

La guitare-harpe avait trois manches, chacun possédant six ou sept cordes. Seulement un manche pouvait être joué à la fois.

Une guitare ayant une caisse de résonance agrandie fut construite en Angleterre. L’agrandissement de cette caisse de résonance se traduisait par une longue saillie rectangulaire possédant sa propre rosette. Cela était probablement une tentative dans le but d’améliorer la qualité du son de l’instrument en augmentant la résonance de la caisse.

Plusieurs de ces innovations furent rejetées aussitôt qu’elles se révélèrent impratiques, toutefois, trois de ces modifications de la guitare de base trouvèrent un certain degré d’acceptation.

En premier lieu mentionnons la guitare de basse, qui était une guitare standard avec des cordes basses en surplus dont le nombre allait de deux à six. Ces cordes de basse supplémentaires étaient attachées à une seconde tête d’accordage liée au manche principal rendu courbé, ou en intégrant à la caisse un second manche lisse (sans frettes) muni d’une tête d’accordage.

Les deux autres types de guitares modifiées ayant eu une certaine popularité – the terzguitare et la quartguitare – étaient proches parentes. La première était plus petite que la guitare moderne et était accordée une tierce mineure plus haute: G-C-F-Bb-D-G. La dernière était plus petite encore et était accordée une quarte plus haute que la guitare moderne: A-D-G-C-E-A. Plusieurs compositeurs, dont Giuliani et Diabelli, écrivirent pour ces instruments. La guitare basse, la terzguitare et la quartguitare n’ont pas subsisté au-delà du premier quart du 20ème siècle.

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